À la naissance d’Henri Matisse (1869), la ville du Cateau compte quelque 6500 habitants. Dans cette grosse bourgade, devenue l’un des principaux centres lainiers du nord de la France, les activités de commerce ont suivi le spectaculaire développement démographique : ainsi, on y dénombre 59 cabaretiers, 27 épiciers, 21 bouchers et charcutiers, 21 marchands d’étoffe et modistes, 18 aubergistes, 17 cordonniers, 16 boulangers, 14 tanneurs et bourreliers, 13 tailleurs, 9 brasseurs, 8 marchands de charbon, 6 chapeliers, 5 blanchisseurs, 5 couteliers, 4 marchands de bois, 1 banquier escompteur, 1 fabricant de savon et 1 marchand de chausson.
À une quinzaine de kilomètres du Cateau, la petite ville de Bohain en Vermandois, où est installée la famille Matisse, est un centre de tissage à la main comptant une quarantaine d’ateliers tenus par des artisans qualifiés réputés. Ici, on travaille les velours, la soie, les cachemires pour confectionner voiles, foulards et autres taffetas enrichis de fils d’or et d’argent qui font la renommée. Un artisanat précieux et coloré qui, soulignent les historiens d’art, n’a pu qu’influencer le jeune Matisse.
C’est ici, non loin de l’hôtel de ville, que les parents d’Henri Matisse ont ouvert une graineterie-droguerie en 1870. Contredisant les usages du temps qui voulaient qu’un fils, devenu adulte, poursuive l’activité commerçante du père, Henri, qui a été écolier à Bohain, collégien au Cateau, lycéen à Saint-Quentin, va trouver sa voie grâce… à une « appendicite à récidive » qui le cloue au lit un long moment : sa mère, qui avait saisi son attirance pour le dessin, lui offre une boîte de couleurs. « Avant, je n’avais de goût à rien, j’éprouvais une grande indifférence pour tout ce qu’on voulait me faire faire. A partir du moment où j’ai eu cette boîte de couleurs entre les mains, j’ai senti que c’était là qu’était ma vie » racontera-t-il plus tard. « Comme une bête qui va à ce qu’elle aime, je me suis dirigé là-dedans, au désespoir bien compréhensible de mon père qui m’avait fait faire d’autres études ».
Monté, sur proposition de son père, faire son droit à Paris, revenu travailler chez un notaire de Saint-Quentin, il n’a plus qu’une idée en tête : se trouver le plus de temps disponible pour le dessin, ses boîtes de couleurs. « La clef d’un nouveau monde » comme l’écrit Bruno Vouters.